Un fruit

Je suis une vieille berdache malformée et inculte.
J’ai profité comme d’autres d’un vol de migrateurs pour foutre le camp
me faire un nid de l’exil, puis un exil de moi-même, puis un envers de décor, puis un envers d’envers …
et j’ai adopté cet endroit pour moi
Cet endroit qui est seul où je suis plurielle
Cet endroit polymorphe de ma propre unité de ciel.

Ronde jumelle de mon passé, toi, mon frère de naissance, tu t’es retiré sur la pointe des pieds dans ta discrétion tendre
pour que je puisse parler.
C’est à cela depuis notre enfance que nous nous exerçons, toi gardant le feu, moi cherchant le nord, si follement,
gracieuse comme une poule perchée précaire sur la gouttière en zinc, ensemble jeunes,  jusqu’à la nudité plénière.

Elle a chanté la joie d’avoir fait son oeuf, et j’ai salué cette soeur de rien comme mienne
à peine là plus qu’elle.

Et je suis devenue, à perte de vue

Mon ombre, ce frère désormais silencieux, me guide, me conseille, parfois m’amuse, me tient la main, accepte que je lui prête le LA, comme un autre, sait en faire autre chose dans les solitudes glacées du désert, d’où surgissent parfois, dit-on, les chants sublimes.

Une femme avertie en vaut deux dont un homme. Un pauvre homme impossible, impossiblement vieux, je suis son jardin, il est ma source

Je suis donc devenue ce que j’étais avant

avant le déluge,

avant que les choses soient suspendues,
moyennant l’illusoire verrou de la civilisation
l’instant qui tremble entre naître et partir.

Archimède disait qu’on peut soulever le monde, si on a le bon levier.

Mais quel levier soulèvera les ruines du ciel quand il nous sera tombé sur le coin de la gueule ?

Il faudra ré-aimer
de façon pré-raisonnable, post-sexuelle, verte, crue et hilare, je sais, l’ombre n’est pas le piège que l’on dit, ni la liberté les fantaisies qui nous font tant méandres, si peu estuaires …

Tu la vois où, toi, la liberté sexuelle ?
Est-ce dans la possibilité abandonnée sans frein au sexe de nous mener par le bout du nez ?
Ou bien se libérer du sexe, sans chaîne, sans clous, ni fusils ni troupeaux, s’en libérer …

Je suis une vieille bardache inculte et malformée
Ecrivant, je m’instruis

Alentour la rumeur du monde a glissé doucement dans un mode nocturne

Toutes narines dehors, j’interroge la brise comme une oracle qui croit aux oracles

Et parfois, j’ai froid de la vie qui passe

Même vides (surtout vides)
Vos mains sont pour vos mains
Vos yeux sont pour vos yeux.

Pas d’être sans don.

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